Faire parler les réseaux sociaux: Ce que les catégories d’audience, de public et de communauté ne disent pas sur les pratiques médiatiques

Patriarche, G., Dufrasne, M. (2012). Faire parler les réseaux sociaux: Ce que les catégories d’audience, de public et de communauté ne disent pas sur les pratiques médiatiques. Accords, désaccords et malentendus: le sociologue comme médiateur dans l'espace public..

Abstract: Dans les recherches sur les médias et la communication (comme d’ailleurs dans d’autres domaines ou disciplines), l’étude de la participation politique des citoyens s’appuie traditionnellement sur deux notions clés : le public et la communauté. Ces notions convoquent des traditions de pensée et de recherche relativement distinctes (pour des synthèses, voir respectivement Raboy, 1998, et Jankowski, 2006) qui ne problématisent pas de la même manière la participation politique. Depuis l’émergence des sites web dits « de réseaux sociaux », c’est la notion de réseau social qui, sans être nouvelle (Mercklé, 2011), occupe le devant de la scène, comme en témoignent les nombreuses études récentes sur les usages de ces plateformes en ligne (e.g. Cardon, 2008, 2009, 2011 ; Stenger et Coutant, 2011). Cependant, force est de constater que la recherche en communication sur les questions de participation politique n’a pas encore évalué de manière approfondie le potentiel heuristique de la notion de réseau social par rapport aux notions de public et de communauté. Que se permet-on de voir, d’interroger ou d’analyser lorsque l’on adopte une approche en termes de réseaux ? À l’inverse, quelles sont les questions ou les analyses qu’une telle approche ne permet pas de poser ou de mener, mais qui sont envisageables au travers du prisme du public ou de la communauté ? Notre objectif est de situer ces approches les unes par rapport aux autres quant à la manière dont elles problématisent la participation politique, notamment en ce qui concerne la question – centrale en matière de participation – du pouvoir (Carpentier, 2011). Dans le cadre de cette réflexion, les notions de public, communauté et réseau seront considérées comme des champs discursifs dynamiques et en interrelation, davantage que comme des concepts univoques, stabilisés et complètement distincts les uns des autres. L’examen des valeurs heuristiques respectives (et relatives) de ces trois notions doit en effet se soumettre à trois impératifs : • Prendre en compte l’évolutivité des notions. Les notions de public, de communauté et de réseau évoluent et se diversifient au gré des changements socio-techniques à l’œuvre dans la société (sur la transformation des réseaux sociaux, voir par exemple Mercier, 2008 ; Mercklé, 2011). • Penser les relations théoriques entre les notions tout en préservant leur potentiel analytique. Il s’agit tout à la fois de penser les relations entre le public, la communauté et le réseau, et d’éviter les amalgames – comme avec la catégorie de « networked public » – qui obscurcissent les approches et affaiblissent leurs potentiels analytiques respectifs. • Ne pas sous-estimer le caractère normatif des notions. Enfin, les champs discursifs du public, de la communauté et du réseau – « champs » que l’on pourrait d’ailleurs très bien comprendre au sens bourdieusien – font cohabiter des discours aux registres divers (idéologiques, méthodologiques, institutionnels, gestionnaires, politiques, etc.) dont il ne faut pas sous-estimer le caractère normatif. Cela vaut manifestement pour la notion de public (Raboy, 1998), mais également pour celle de communauté (Jankowski, 2006). L’approche en termes de réseaux sociaux est apparue à certains comme un moyen de contourner la normativité de la notion de communauté (e.g. Jankowski, 2006), mais c’est oublier que la figure du réseau est elle-même marquée idéologiquement et normativement (Van Campenhoudt, 2010).